Un cours du franc suisse équilibré : une tentative d’estimation

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L’évolution turbulente du franc suisse depuis la crise financière a de plus en plus soulevé la question d’un éventuel cours du franc suisse équilibré. Il n’existe certes pas de véritable valeur d’équilibre. Le modèle de Behavioral-Equilibrium-Exchange-Rate-(BEER) a toutefois permis d’essayer d’apprécier l’erreur de cotation du franc suisse.

Euro-Franken

Au cours des dix dernières années, le franc suisse s’est apprécié d’environ 34% en valeur nominale par rapport aux monnaies de ses partenaires commerciaux. Quels facteurs ont contribué à cette tendance à la hausse du taux de change effectif ? Elle peut en partie s’expliquer par des différences dans l’évolution des prix. Comme le taux d’inflation à l’étranger était supérieur à celui de la Suisse pendant cette période, une appréciation nominale du franc suisse s’avérait nécessaire par rapport aux monnaies étrangères pour que la différence entre les prix n’augmente pas.

Le graphique G 4 montre l’évolution de l’indice du taux de change réel entre le franc suisse et les monnaies étrangères pondérées du commerce – c’est-à-dire les prix des marchandises domestiques exprimées en unités de marchandises étrangères. Bien que l’indice réel du taux de change ait affiché une hausse nettement moindre (7%) que l’indice nominal au cours des dix dernières années, il présente quand même également une tendance à la hausse. D’autres facteurs doivent donc agir sur l’évolution du taux de change.

Quels facteurs ont agi sur le cours du change ?


Une chercheuse du KOF a étudié les facteurs qui avaient influencé le cours du change durant les dernières années. À l’aide du modèle de Behavioral-Equilibrium-Exchange-Rate-(BEER), elle a évalué le lien entre les facteurs fondamentaux d’un pays par rapport à un autre pays et le taux de change réel des monnaies de ces deux pays (Bénassy-Quéré et al., 2009). Les facteurs fondamentaux suivants ont été pris en compte :

 

  • Productivité : Selon l’hypothèse de Balassa-Samuelson, le niveau des prix est élevé dans un pays à forte productivité. D’après la théorie de la parité du pouvoir d’achat, des prix élevés impliquent une monnaie forte. Dans le modèle utilisé, la productivité a été approchée du produit intérieur brut (PIB) corrigé de la hausse des prix par habitant.
  • Avoirs étrangers : Si la Suisse a des avoirs étrangers élevés par rapport au PIB et par comparaison avec l’étranger, elle pourra présenter à l’avenir un déficit de la balance commerciale tout en demeurant solvable. En revanche, l’étranger devra générer un excédent de la balance commerciale à l’avenir, pour que la contrainte budgétaire intertemporelle soit satisfaite à long terme. En raison de ses avoirs étrangers positifs, la Suisse est relativement prospère ; c’est pourquoi la demande suisse en marchandises est élevée, de même que les prix des marchandises suisses. Les prix élevés et la hausse du taux de change réel sont préjudiciables à la compétitivité des marchandises suisses et contribuent au fait que l’étranger puisse réaliser un excédent de la balance commerciale (Lane et Milesi-Ferretti, 2002 ; Mancini Griffoli et al., 2015).
  • Différentiel de taux réel : Un différentiel positif de taux réel entre l’étranger la Suisse entraîne une dépréciation de la monnaie domestique. En effet, le capital du pays à taux peu élevé ira dans le pays à taux élevé et, par conséquent, la demande en monnaie du pays à taux élevé s’accroîtra.
  • Terms of Trade : Les termes de l’échange montrent l’évolution du rapport entre les exportations et les importations, dans la mesure où le niveau des prix des biens exportés est divisé par le niveau des prix des biens importés. Si les prix des marchandises exportées augmentent davantage en Suisse qu’à l’étranger par rapport aux marchandises importées, la Suisse réalisera des bénéfices, car elle pourra importer davantage avec une quantité donnée de marchandises exportées. Ce revenu supplémentaire accroîtra la demande en biens négociés et non négociés, ce qui aura une incidence positive sur le taux de change réel.
  • Consommation publique : Comme l’État en particulier consomme des biens non négociés, une hausse de la consommation publique par rapport au PIB entraîne une plus forte demande de ces biens en Suisse par rapport à l’étranger, ce qui entraîne une hausse de leurs prix. Le taux de change réel s’accroîtra par conséquent.
  • Ouverture au commerce : L’ouverture en matière d’échanges commerciaux est le total des exportations et des importations de biens et de services par rapport au PIB. Si un pays mène une politique commerciale libérale, les prix des marchandises négociées produites dans le pays seront relativement bas, ce qui entraînera une augmentation du taux de change réel.

Ne sont pas considérés comme facteurs fondamentaux, par exemple, les afflux d’argent liés au statut de refuge du franc suisse, ou les achats de devises par la Banque nationale suisse. En effet, ces variables n’influencent pas la juste valeur du franc suisse.

Surévaluation apparemment persistante depuis 2010

Sur la base des coefficients évalués, il est possible de déterminer la valeur équilibrée du taux de change. Le graphique G 5 présente l’erreur de cotation du franc suisse en pourcentage par rapport à ses partenaires commerciaux. Une erreur positive implique une surévaluation du franc suisse.

Les résultats suggèrent que le franc suisse a été sous-évalué entre 2004 et 2009. À partir de 2008, cette sous-évaluation a brusquement cessé pour céder la place à une surévaluation à compter de 2010. Depuis lors, la valeur d’équilibre du taux de change n’a jamais été retrouvée. En ce qui concerne l’année 2018, la fourchette d’évaluation de l’erreur de cotation se situe entre 10% et 14%. Les taux de change équilibrés sont extrêmement sensibles par rapport aux variables utilisées et à l’échantillon de pays. Par conséquent, il convient d’interpréter les résultats avec prudence.

Le modèle permet en outre d’identifier les variables qui stimulent le cours du change. Au cours des dix dernières années, le PIB par habitant corrigé de la hausse des prix a exercé la plus forte influence. Les avoirs étrangers figurent au deuxième rang. Ces deux variables sont plus élevées en Suisse qu’à l’étranger et ont donc contribué à la vigueur du franc suisse. Au troisième rang figure le taux d’intérêt réel, relativement bas en Suisse, qui a donc contribué à un franc faible. Les trois autres variables sont moins importantes.

Bibliographie

Bénassy-Quéré, A.; S. Béreau, and V. Mignon (2009) : Robust estimations of equilibrium exchange rates within the G20: A panel BEER approach. Scottish Journal of Political Economy, 56(5):608-633.

Lane, P. R. and G. M. Milesi-Ferretti (2002): External wealth, the trade balance, and the real exchange rate. European Economic Review, 46(6):1049-1071.

Mancini Griffoli, T.; C. Meyer; J.-M. Natal, and A. Zanetti (2015): Determinants of the Swiss franc real exchange rate. Swiss Journal of Economics and Statistics, 151(4):299-331.

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Nina Mühlebach
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