Croissance et vieillissement de la population : des facteurs d’atténuation de la pauvreté dans les pays à revenu faible ou intermédiaire
KOF Bulletin
Le monde vieillit. Selon la Banque mondiale, le pourcentage de la population mondiale âgée de 65 ans et plus a presque doublé entre 1960 et 2020. Alors que les pays développés luttent contre les conséquences du vieillissement de la population, les pays moins développés ont encore des chances d'en bénéficier.
On a souvent dit que la croissance démographique était préjudiciable au revenu par habitant. En 1798, Robert Malthus a affirmé que l'humanité resterait indéfiniment dans la pauvreté, car toute augmentation des revenus générée par les nouvelles technologies entraînerait une croissance exponentielle de la population qui finirait par annuler toute croissance antérieure des revenus.
Les travaux empiriques ultérieurs soulignent que le rôle direct de la croissance démographique dans la détermination du revenu par habitant est extrêmement limité. Plus récemment, la recherche universitaire s'est orientée vers l'analyse des effets de la structure d'âge de la population sur le développement économique. L'idée sous-jacente de cette recherche est qu'une fois que le taux de fécondité commence à baisser et que l'espérance de vie augmente, il existe une courte période durant laquelle on retrouve en parallèle : un nombre élevé de travailleurs disponible, peu d'enfants et peu de personnes âgées, c’est ce que l’on appelle communément une fenêtre d'opportunité démographique. Pendant ce court laps de temps, des occasions uniques se présentent aux décideurs politiques de stimuler le taux de croissance de leurs économies, c'est-à-dire d'obtenir un dividende démographique.
La fenêtre d'opportunité démographique : concept et définition
En théorie, l'approche subdivise la fenêtre d'opportunité démographique en quatre étapes.
Historiquement, tous les pays se trouvaient en équilibre avec des taux de natalité et de mortalité élevés et des revenus faibles. Par exemple, selon la base de données Clio Infra de l'OCDE 1, le produit intérieur brut (PIB) par habitant de l'Allemagne était de 1 872 dollars US en 1500. Quelques centaines d'années plus tard, en 1800, le PIB par habitant de l'Allemagne était encore très similaire, à 1 572 dollars. Malgré cette baisse du revenu par habitant, la population n'a cessé de croître, passant de 12 millions d'habitants en 1500 à 18 millions en 1800. Il s'agit de la première étape, dite « ère malthusienne » : la quasi-totalité du développement technologique se traduit par une croissance démographique (hausse de la fécondité et baisse du taux de mortalité), et peu ou pas du tout par une croissance du revenu par habitant. Aujourd'hui, de nombreuses régions moins développées restent bloquées à cette première étape. Par exemple, le PIB par habitant du Niger n'est actuellement que de 1 288 dollars selon la Banque mondiale, alors qu'il était de 1 200 dollars en 1950 selon la base de données Clio Infra de l'OCDE.
Durant la deuxième étape, sous réserve d'une bonne gouvernance, comme des droits de propriété bien développés, les économies d'échelle se concrétisent, car les sociétés à forte population développent davantage d'idées et des segments de la population peuvent se spécialiser dans la production d'idées, ce qui permet des innovations de meilleure qualité. Le piège malthusien commence alors à se défaire, car le progrès technologique commence à augmenter de façon exponentielle, dépassant la croissance démographique. Ce phénomène est également connu sous le nom de « théorie de Boserup».
C’est au cours de la troisième étape que la théorie de Malthus s’estompe vraiment : les taux de fécondité commencent à baisser malgré l'augmentation des revenus. La production économique devenant de plus en plus complexe, il faut former les travailleurs pour qu'ils puissent utiliser correctement les technologies disponibles. Cette augmentation du capital humain accélère la croissance économique, tout en augmentant le coût d'opportunité d'avoir des enfants. Les femmes retardent leur choix d'avoir des enfants pour des raisons d'éducation ou de carrière, et les ménages décident d'avoir moins d'enfants, ce qui leur permet d'investir dans l'éducation de leurs enfants. Ce mécanisme pousse également davantage de femmes à revenir sur le marché du travail. La taille de la population continue d'augmenter, mais à un rythme de plus en plus lent.
Dans la phase finale, la croissance de la population ralentit ou commence même à diminuer, car les taux de fécondité et de mortalité sont eux aussi à des niveaux bas. Au cours de cette phase, la dépendance augmente à nouveau car les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses. La croissance économique ralentit, mais à des niveaux de PIB par habitant beaucoup plus élevés. Aujourd'hui, de nombreux pays se sont transformés en pays à haut niveau de PIB par habitant et à faible croissance démographique. Cependant, parallèlement, il existe encore de nombreux pays dans lesquels le PIB par habitant reste faible alors que la croissance démographique reste élevée.
Les méthodes existantes afin de déterminer si une région se situe dans la fenêtre d'opportunité démographique sont quelque peu rudimentaires. Par exemple, le département de la population des Nations Unies considère qu'une région se trouve dans ce créneau démographique d'opportunité, si moins de 30% de la population a moins de 15 ans et moins de 15% de la population a plus de 64 ans, ou si la population en âge de travailler (15-64 ans) est supérieure à 55% de la population. Pour obtenir une image plus fine de cette fenêtre, notre analyse utilise le schéma de classification suivant :
1. Phase traditionnelle (> 40% de moins de 15 ans et < 15% de plus de 64 ans, pensez au stade 1),
2. Phase de pré-fenêtre (30-40% de moins de 15 ans et < 15% de plus de 64 ans, pensez au stade 2),
3. Phase de fenêtre précoce (25-30% de moins de 15 ans et < 15% de plus de 64 ans, pensez au stade 3),
4. Phase intermédiaire (20-25% de moins de 15 ans et < 15% de plus de 64 ans, pensez au stade 3),
5. Phase tardive (< 20 % pour les moins de 15 ans et < 15 % pour les plus de 64 ans, pensez au stade 3),
6. Phase post-fenêtre (> 15% sur 64, pensez au stade 4).
La fenêtre d'opportunité démographique à travers le monde
Il existe de nombreuses différences concernant les phases du guichet démographique, tant entre les pays et les régions qu'au niveau infranational (à l’échelle territoriale) au sein des pays eux-mêmes (cf. graphique G 3). La Chine est le seul pays à revenu faible ou intermédiaire dont certaines régions ont franchi le seuil de la fenêtre démographique, tandis que son voisin du nord, la Mongolie, se trouve en grande partie dans la phase de pré-fenêtre. L'Inde est confrontée à davantage de différences à l'intérieur de ses frontières : la majeure partie du nord est en retard dans la phase de pré-fenêtre, tandis que la majeure partie du sud profite des gains de la phase de mi-fenêtre. La région MENA présente une grande diversité entre les pays : de nombreuses régions de Turquie, de Tunisie et d'Iran se trouvent dans la phase de pré-fenêtre, tandis que d'autres restent dans les phases de pré-fenêtre ou traditionnelles. En Amérique du Sud, des pays comme le Brésil et l'Argentine sont en tête en termes de fenêtre démographique.
En Afrique sub-saharienne, la situation est assez unique et sombre. Alors que certaines régions, principalement dans le sud, semblent avoir dépassé la phase traditionnelle ou celle de pré-fenêtre, une grande partie de la région d'Afrique centrale reste dans la phase traditionnelle. En Afrique, le tableau reste similaire, avec seulement un nombre limité de régions dans le Sud, autour du Golfe de Guinée et quelques autres endroits qui sont dans une phase ultérieure (voir Graphique G 4).
Il semble toutefois y avoir une lueur d'espoir. La fenêtre démographique s'ouvre dans plus d'endroits que ce que l'on pourrait croire sur la base du graphique G 4 (cf. tableau T 1). Par exemple, alors que le Botswana est dans la phase de pré-fenêtre, la zone urbaine de l'une de ses régions - le Sud-Est - est déjà dans la phase de mi-fenêtre. Enfin, alors que l'Éthiopie est dans la phase traditionnelle, la capitale du pays, Addis Abeba, est déjà en phase de mi-fenêtre. Ces données soulignent l'importance d'une approche à l’échelle territoriale pour faire face aux changements démographiques, car les structures d'âge de la population varient considérablement au sein des pays.
Le dividende démographique et ses déterminants
Si la fenêtre démographique est propice à la croissance économique, elle ne l'augmente pas nécessairement. La fenêtre est associée à des avantages et risques potentiels, d'où l'expression "fenêtre d'opportunité". Si un gouvernement peut exploiter les avantages tout en maintenant les risques, il peut bénéficier d'un dividende démographique, c'est-à-dire de la croissance économique supplémentaire associée à la fenêtre d'opportunité démographique.
La littérature décrit les avantages associés à la fenêtre ci-dessus qui vont au-delà du fait d'avoir plus de travailleurs disponibles. Tout d'abord, étant donné que les travailleurs sont beaucoup plus susceptibles d'épargner que les enfants ou les personnes âgées, l'épargne augmentera en raison de l'accroissement de la part de la population en âge de travailler. L'épargne augmentera également en raison de l'accroissement de l'espérance de vie de la population pendant la fenêtre démographique. Cet afflux supplémentaire d'épargne fait baisser les taux d'intérêt, ce qui permet des investissements moins coûteux via les marchés du crédit. Deuxièmement, le capital humain peut augmenter de manière substantielle, car (i) l'augmentation de l'espérance de vie accroît le rendement de l'éducation, (ii) les ménages sont mieux à même d'investir dans l'éducation de leurs enfants car ils en ont moins tout en bénéficiant d'un revenu plus élevé, et (iii) les gouvernements sont également mieux à même d'investir dans l'éducation par enfant car il y a moins d'enfants et ils bénéficient d'un revenu fiscal plus élevé en raison de la part accrue de travailleurs. Ces mécanismes peuvent conduire à une croissance de la production par habitant à long terme qui dépasse la simple croissance associée à la disponibilité d'un plus grand nombre de travailleurs.
Néanmoins, il existe des risques associés à la présence d'une grande proportion de personnes en âge de travailler dans la population. Tout d'abord, il pourrait y avoir des troubles civils et de la criminalité causées par un taux de chômage élevés si le marché du travail n'est pas en mesure d'absorber la forte augmentation de l'offre de main-d'œuvre. De tels facteurs peuvent dissuader les investissements (étrangers). Deuxièmement, le marché du crédit doit être suffisamment développé pour permettre une transformation efficace de l'épargne en investissements. Troisièmement, la gouvernance doit être propice à la croissance économique pendant la période de transition en garantissant un faible niveau de corruption et une gouvernance efficace. La corruption peut réduire l'accès aux services publics tels que l'éducation et la santé, tandis qu'une mauvaise gouvernance peut entraîner un sous-investissement dans des secteurs clés, autant de facteurs qui diminuent la productivité. Si l'on ne tient pas compte de ces risques, une économie peut tomber dans le piège du revenu intermédiaire : une situation dans laquelle le pays n'est plus compétitif dans le secteur manufacturier en raison de salaires plus élevés, mais n'est pas non plus encore compétitif dans l'économie de la connaissance.
Bien que ces mécanismes semblent tous raisonnables, il existe peu de données permettant de déterminer quels facteurs sont empiriquement pertinents. Crombach & Smits (2021) ont utilisé des données sur 1 921 zones infranationales des pays les moins développés dans une analyse multiniveau afin de déterminer lesquelles bénéficiaient d'un dividende démographique plus important. Il est frappant de constater que tous les avantages sont obtenus dans les zones rurales. Cela pourrait laisser penser que les zones rurales sont plus à même de profiter des avantages de la fenêtre car elles étaient déjà en retard en termes de marchés du travail et du crédit et de gouvernance, ou plutôt que les zones urbaines sont moins à même d'équilibrer les risques associés à la fenêtre, annulant complètement toute croissance potentielle des revenus.
À mesure que les pays passent par cette fenêtre, le taux de dépendance (part des jeunes et des personnes âgées divisée par la part des travailleurs) diminue tandis que la croissance économique devrait s'améliorer (corrélation négative). Les estimations de Crombach & Smits (2021) indiquent que les régions qui ont investi dans l'éducation dans leur phase traditionnelle ou avant la fenêtre bénéficient d'un dividende démographique plus important (cf. graphique G 6). En outre, le dividende est plus important dans les régions qui ont déjà réussi à atteindre un niveau de développement plus élevé avant d'entrer dans cette fenêtre. Ces deux résultats indiquent qu'il est important pour les décideurs politiques locaux de programmer les investissements clés juste avant l'ouverture de la fenêtre pour obtenir le dividende démographique maximal. Nous constatons également que la gouvernance au niveau national a un effet positif sur le dividende démographique. De manière contre-intuitive, en ce qui concerne les marchés du crédit, nous constatons que les pays dont le développement financier est moins bon comptent davantage de régions à croissance plus élevée pendant la fenêtre (non visualisée), ce qui va à l'encontre du mécanisme du marché du crédit qui consiste à augmenter l'épargne et à diminuer les investissements.
En résumé, la fenêtre d'opportunité démographique est une période durant laquelle les pays passent d'une situation de forte fécondité et de forte mortalité à une situation de faible fécondité et de faible mortalité. Pendant cette période, les pays améliorent généralement considérablement leurs conditions économiques. Si la plupart des pays du monde ont traversé ou traversent actuellement la fenêtre d'opportunité démographique, la plupart des pays d'Afrique subsaharienne n'y sont pas encore entrés. Ces régions peuvent bénéficier de l'utilisation des résultats empiriques de cet article, qui montrent que les zones rurales ayant des niveaux d'éducation et de développement plus élevés dans les phases traditionnelles ou dites de pré-fenêtre bénéficient d'un dividende démographique plus important que les autres zones. Au niveau des pays, nous soulignons une fois de plus la nécessité d'une bonne gouvernance, tout en nuançant l'importance du développement financier.
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1 external page https://clio-infra.eu/Indicators/GDPperCapita.html
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