A quel moment l'intervention de l'État devient-elle nécessaire ?

En temps normal, les stabilisateurs automatiques suffisent à amortir les mouvements de hausse et de baisse de la conjoncture. Lorsque l'économie s'enfonce dans une grave récession, l'intervention de l'État devient néanmoins nécessaire.

Lorsqu'une économie nationale trébuche, les décideurs politiques sont confrontés au défi de trouver une issue rapide et sans heurt à la crise. Mais comment y parvenir et quel est le degré d'intervention de l'État nécessaire? Alors que certains misent sur l'effet des stabilisateurs automatiques - comme l'assurance chômage, le frein à l'endettement ou l'impôt sur le revenu -, d'autres plaident pour une intervention active de l'État par le biais d'une politique fiscale discrétionnaire, c'est-à-dire de dépenses spécifiques, afin de relancer l'économie. Le présent article se penche sur la question de savoir pourquoi, comment et dans quelle mesure l'État doit intervenir de manière stabilisatrice en temps de crise.

La tâche essentielle de l'État

L’état joue un rôle essentiel quant à la stabilisation de l'économie. Lors de période de ralentissement conjoncturel, on assiste à une baisse de la demande, du chômage et des revenus. L'État peut tenter alors d'atténuer ce cycle baissier (et inversement, le cycle haussier) par des mesures appropriées et favoriser ainsi un développement économique stable. Outre les effets positifs à court terme sur l'emploi et les salaires, un développement économique stable favorise également la croissance à long terme et ainsi la prospérité de la société. En effet, les entreprises - mais aussi les particuliers - sont plus enclins à investir de manière appropriée et durable dans un environnement où la planification est sûre, ce qui favorise également l'innovation.

En revanche, une économie instable peut être source d'inégalités et de tensions sociales, certains groupes de population étant plus touchés que d'autres par les crises économiques. En stabilisant l'économie, l'État contribue ainsi à promouvoir la justice sociale et une certaine efficacité économique.

Une politique fiscale expansive

De quelle manière l'État intervientil pour stabiliser la situation en temps de crise ? L’État peut à travers une politique fiscale expansive stimuler la demande économique globale, soit en augmentant les dépenses publiques, soit en réduisant les impôts. Dans les deux cas, le déficit budgétaire augmente. D'un point de vue théorique, deux arguments principaux peuvent être avancés en faveur d'une stabilisation de l'économie par une augmentation à court terme de la dette publique (cf. Brunnermeier et Reis, 2023).

D’un côté, l'argument néoclassique, qui repose sur l’hypothèse selon laquelle la plupart des taxes et des programmes gouvernementaux entraînent des distorsions de comportement. En période de récession, les hausses d'impôts ou les réductions de subventions nécessaires pour équilibrer le budget de l'État sont probablement contreproductives. En effet, elles pèseraient encore plus sur une économie déjà affaiblie et aggraveraient la récession.

De l’autre côté, le point de vue keynésien, considère les récessions comme des périodes où l'épargne privée est trop élevée et donc les dépenses privées trop faibles par rapport à ce qui serait socialement souhaitable. Si l'État augmente ses dépenses ou réduit les impôts, il diminue l'épargne publique - et donc l'épargne globale - et rapproche l'économie de l'équilibre souhaité: la pleine utilisation des capacités de production économique, où l'emploi, les revenus et les recettes fiscales sont supérieurs au niveau de crise qui aurait été atteint sans intervention de l'État.

Le rôle des stabilisateurs automatiques

Il existe une multitude de mesures étatiques qui peuvent être conçues comme des stabilisateurs automatiques, tant du côté des dépenses que des recettes. Cela signifie qu'elles compensent les fluctuations conjoncturelles sans qu'il soit nécessaire d'élaborer et de mettre en œuvre des mesures politiques spécifiques.

Du côté des recettes, le système fiscal joue un rôle central. En période de ralentissement économique, les revenus, les bénéfices des entreprises et les chiffres d'affaires diminuent, ce qui entraîne automatiquement une baisse des recettes fiscales. Cette baisse de la charge fiscale peut contribuer à stabiliser l'offre de travail, le pouvoir d'achat des consommateurs et les investissements des entreprises. A l'inverse, la charge fiscale plus élevée en période expansionniste peut freiner l'activité économique et contribuer à protéger l'économie d'une surchauffe.

Du côté des dépenses, il existe également des mesures qui vont dans le même sens. Il s'agit par exemple de l'assurance chômage, laquelle offre un soutien financier en cas de chômage. En période de récession, lorsque le chômage augmente, le nombre d'ayants droit augmente automatiquement. Grâce aux allocations chômage, leur pouvoir d'achat est maintenu. Cela atténue la baisse des revenus disponibles et stabilise ainsi la consommation et l'économie.

Les stabilisateurs automatiques contribuent de manière substantielle à la stabilisation de l'économie sans que l'État n'ait à intervenir activement. Leur popularité repose sur leur efficacité, leur indépendance politique et leur rôle dans la promotion de la justice sociale. Toutefois, ils ont aussi leurs limites. Ainsi, ils ne sont pas en mesure de réagir à tous les types de chocs économiques. Il s'agit par exemple de changements soudains dans l'environnement du commerce international, par exemple des pénuries d'approvisionnement - comme cela a été vécu récemment lors de la pandémie de Covid 19 - ou des événements géopolitiques tels que des guerres ou des chocs pétroliers. Dans de telles situations, des mesures fiscales discrétionnaires peuvent être nécessaires pour stabiliser l'économie.

Le frein à l'endettement suisse

Un autre stabilisateur automatique est le frein à l'endettement, garant de l'équilibre budgétaire (fédéral) à moyen terme: les dépenses ordinaires sont limitées au niveau des recettes structurelles, c'est-à-dire corrigées de la conjoncture (cf. graphique 1).1

Enlarged view: G 1 : Une trajectoire des dépenses constante et des recettes dépendant de la conjoncture
G 1 : Une trajectoire des dépenses constante et des recettes dépendant de la conjoncture

Le frein à l'endettement joue un rôle ambivalent dans la stabilisation de la conjoncture. Il favorise d’une part la stabilité financière à long terme, ce qui donne une marge de manœuvre à la politique budgétaire discrétionnaire en maintenant l'endettement brut à un niveau faible (voir la discussion dans Baselgia et Martínez, 2023). Et d'autre part, ce frein limite l'ampleur de la réaction de la politique budgétaire à court terme en cas de récession, puisque les dépenses ordinaires ne peuvent pas dépasser le niveau des recettes à moyen terme. C'est pourquoi la conception largement rigide du frein à l'endettement suisse permet de stabiliser l'économie dans une mesure limitée (Kemeny et Wegmüller, 2023). Compte tenu du très faible endettement de la Suisse, la question de savoir s'il ne faudrait pas assouplir le frein à l'endettement « strict » afin de créer une plus grande marge de manœuvre pour les investissements publics ou les baisses d'impôts (voir Brülhart, 2023) se pose de plus en plus. Il existe déjà toutefois des fonds d'investissement spéciaux. Le frein à l'endettement permet en outre des dépenses extraordinaires dans des situations exceptionnelles.2

Une politique budgétaire discrétionnaire

En cas de crise économique grave, il peut arriver que les stabilisateurs automatiques ne suffisent pas à soutenir l'économie. Il est nécessaire que l'État recourt dans de tels cas, en dernier recours, à une politique fiscale discrétionnaire et engage des dépenses dépassant les limites du frein à l'endettement afin de stabiliser l'économie suisse et de la préserver d'un effondrement. Pendant la crise financière de 2008, la Confédération a été contrainte de soutenir temporairement l'UBS. Durant la pandémie de COVID-19, la Confédération a accordé des garanties pour un montant d'environ 100 milliards de francs et a effectué des dépenses extraordinaires effectives d'environ 30 milliards de francs (voir Schaltegger, 2021).

Le niveau optimal d'intervention de l'État

Quel est le degré d'intervention de l'État approprié en temps de crise? Cela reste un défi permanent pour la politique qui agit dans l'incertitude. Il est toujours plus facile de juger a posteriori si un programme conjoncturel était trop modéré ou trop expansif. L'histoire économique montre que les interventions de l'État ont été plus ou moins efficaces. Dans ce contexte, la stimulation fiscale peut avoir été soit trop faible, soit au bon niveau, soit trop soutenue.

Il est déjà certain qu’il sera difficile de réagir au bon moment et dans la bonne mesure lorsque la prochaine crise surviendra. La Suisse peut s'estimer heureuse de se trouver dans une situation économique confortable, même après avoir surmonté la pandémie de COVID-19. En effet, la Suisse a une dette publique très faible, ce qui lui procure la marge de manœuvre nécessaire pour réagir rapidement, avec souplesse et, le cas échéant, de manière globale, aux futurs défis économiques. Il est essentiel de préserver cette résilience et cette flexibilité afin de garantir la stabilité et la croissance de l'économie suisse à long terme, tout en tenant compte des préoccupations de justice sociale.

Cet article est paru pour la première fois dans La Vie économique sous le titre "external pageInterventions de l’État: oui… et non".

 

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1Le système de sécurité sociale n'est pas inclus.

2Les dépenses en matière de transports sont aujourd'hui déjà financées en grande partie par des recettes fiscales à affectation obligatoire, notamment par le fonds d'infrastructure ferroviaire (FIF) et le fonds pour les routes nationales et le trafic d'agglomération (FNTA). Les deux fonds de transport financent l'exploitation, l'entretien et l'aménagement des infrastructures de transport.

Bibliographie

Baselgia, E., und I. Z. Martínez (2023): external pageWealth-Income Ratios in Free Market Capitalism: Switzerland, 1900–2020. The Review of Economics and Statistics.

Blanchard, O. (2023): Fiscal policy under low interest rates. MIT press.

Brülhart, M. (2023): La politique d'endettement de la Suisse est-elle trop stricte ? La Vie économique. 13 novembre.

Brunnermeier, M. K., und R. Reis (2023): A Crash Course on Crises: Macroeconomic Concepts for Runups, Collapses, and Recoveries. Princeton University Press.

Kemeny, F. und P. Wegmüller (2023): Comment le frein à l'endettement tient compte de la conjoncture. La Vie économique. 14 novembre.

Schaltegger, C. (2021): Le plus fort soutien à l'économie depuis la Seconde Guerre mondiale. La Vie économique. 25 mai.

Contacts

Dr. Enea Baselgia
Lecturer at the Department of Management, Technology, and Economics
  • LEE G 120
  • +41 44 632 83 11

Professur f. Wirtschaftsforschung
Leonhardstrasse 21
8092 Zürich
Switzerland

Prof. Dr. Jan-Egbert Sturm
Full Professor at the Department of Management, Technology, and Economics
Director of KOF Swiss Economic Institute
  • LEE G 305
  • +41 44 632 50 01

Professur f. Wirtschaftsforschung
Leonhardstrasse 21
8092 Zürich
Switzerland

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