Des points, mais peu d'impact ? Le système d'immigration à l'australienne n’est pas sans défauts

En Suisse, rares sont les sujets qui suscitent autant d'émotions et de controverses que celui de l'immigration et de sa gestion. Un système de points à l'australienne ou à la canadienne pourrait-il être la solution ? Une analyse de Michael Siegenthaler, économiste du marché du travail au KOF.

En ces temps de pénurie de main-d'œuvre et d'appel à un plus grand contrôle de l'immigration, certaines voix s'élèvent pour que la Suisse introduise un système de points en matière d’immigration, comme celui pratiqué en Australie et au Canada. L'idée est séduisante : à l'avenir, des critères objectifs permettront de déterminer quels immigrants seront admis dans le pays et lesquels ne le seront pas. Les personnes intéressées recevront des points en fonction de critères tels que leur niveau d'éducation, leurs connaissances linguistiques et leur expérience professionnelle. Outre l'Australie et le Canada, la Nouvelle-Zélande et, depuis le Brexit, la Grande-Bretagne appliquent un tel système. Les objectifs sont clairs : limiter l'immigration tout en la recentrant sur les personnes hautement qualifiées qui s'intègrent généralement plus rapidement et contribuent de manière plus importante à l'économie nationale.
«Mais un système dans lequel l'État joue un rôle central dans la sélection des immigrés présente des inconvénients évidents pour les entreprises, notamment par rapport au système d'immigration actuel de la Suisse.»Michael Siegenthaler
Dans une note de synthèse (Policy brief) destinée aux décideurs politiques, aux autorités et aux organisations, je me suis penché, en collaboration avec Santosh Jatrana, Professeur d’université et chercheuse australienne réputée dans le domaine de la migration, sur les avantages et les inconvénients des systèmes à points existants. Santosh Jatrana connaît très bien le système d'admission australien grâce à ses recherches et à sa propre expérience. Cette collaboration m'a permis de constater plusieurs choses. On peut dire qu’à certains égards, un tel système est tout à fait avantageux : ainsi, dans un système à points, il est moins probable que l'immigration ait des effets négatifs sur le marché du travail. Cela s'explique par le fait que grâce à ce système, immigrantes et immigrants sont plutôt un complément à la population active locale et que l'on évite de grandes poussées d'immigration qui pourraient surcharger la capacité d'absorption du marché du travail. Un système de points bien conçu, contribue en outre à l'égalité des chances et à la transparence des décisions en matière d'immigration en appliquant les mêmes critères à tous les candidats.
Mais un système dans lequel l'État joue un rôle central dans la sélection des immigrés présente des inconvénients évidents, notamment pour les entreprises et peut-être aussi pour l'économie nationale, par rapport au système d'immigration actuel de la Suisse, dans lequel ce sont les entreprises et leurs décisions d'embauche qui gèrent le flux migratoire.
Il y a au moins trois raisons à cela : premièrement, dans la pratique, il est loin d'être facile d'aligner les critères de sélection du système établie sur les possibilités réelles d'emploi dans le pays. Le marché du travail étant dynamique, les pénuries constatées aujourd'hui pourraient ne plus exister demain. En outre, il est difficile de rendre compte de la complexité de la pénurie de main-d'œuvre. La pénurie de main-d'œuvre ne touche pas toujours un secteur professionnel dans son entier. Très souvent, la pénurie de main-d’œuvre concerne des travailleurs possédant une combinaison précise de qualifications et de compétences, des formations continues spécifiques ou certaines « compétences non techniques », qui ne peuvent guère être mesurées de manière objective. Enfin, il n'est pas possible de dicter aux immigrés, dans un système à points, l’endroit où ils doivent s'installer. Il se peut donc qu'ils ne se déplacent pas là où les besoins sont les plus importants.
«La probabilité pour les migrants de trouver un emploi entre un à trois ans suivant leur arrivée est plus élevée en Suisse que dans la plupart des pays ayant un système à points.»Michael Siegenthaler
Deuxièmement, un inconvénient majeur du système à point est que la plupart des immigrés entrent dans le système sans avoir d’emploi. Certes, les migrants qui ont un emploi obtiennent généralement plus de points, mais dans la réalité, le processus est trop long et trop incertain pour que de nombreuses entreprises soumettent une offre d'emploi aux candidats avant leur entrée dans le pays. Par conséquent, dans les pays appliquant le système à points, les migrants sont souvent confrontés à une longue recherche d'emploi, au sous-emploi, ainsi qu’à des difficultés de reconnaissance de leurs qualifications après leur arrivée. La probabilité pour les migrants de trouver un emploi entre un à trois ans suivant leur arrivée est plus élevée en Suisse que dans la plupart des pays ayant un système à points.
Une troisième faiblesse du système réside dans le fait qu'il ne couvre pas suffisamment les besoins élevés des entreprises en main-d'œuvre moins qualifiée – dans les secteurs par exemple où la demande est saisonnière ou connaît des pics sur le court terme. L'expérience des pays dotés de systèmes à points montre que la pénurie de main-d'œuvre dans ces secteurs ne disparaît pas malgré le système à points. C'est la raison pour laquelle ces pays ont des programmes d'immigration supplémentaires pour les travailleurs moins qualifiés, par exemple des programmes de travailleurs saisonniers pour l'agriculture, le tourisme et la construction. Ces programmes aident certes à combler le déficit de main-d'œuvre non qualifiée, mais ils ouvrent généralement des possibilités d'entrée permanente. En outre, ces programmes limitent souvent les droits des travailleurs migrants, ce qui – comme le montrent des recherches récentes – peut avoir des répercussions négatives sur la main-d'œuvre locale. En effet, le niveau des salaires est ainsi par exemple, dans un secteur donné, mis sous pression. La nécessité de compléter un système à points par des programmes d'immigration pour les travailleurs moins qualifiés risque donc de faire échouer les objectifs centraux du système, à savoir limiter l'immigration et l'orienter vers les travailleurs hautement qualifiés.
En somme, il existe également des arguments légitimes contre un système à points. Le cas récent de la Grande-Bretagne a montré que ce système n’est pas une solution miracle et qu'il pouvait même passer à côté des objectifs visés. L'immigration y a augmenté après l'introduction du système à points – et non diminué.
Downloads
Dans une external page note de synthèse (Policy brief), Santosh Jatrana et Michael Siegenthaler examinent en détail les avantages et les inconvénients des systèmes d'immigration à points (en anglais).
Contact
KOF Konjunkturforschungsstelle
Leonhardstrasse 21
8092
Zürich
Switzerland