TTIP : Comment l’évaluer ?

Rarement des négociations au sujet d’un accord de commerce extérieur auront suscité autant de remous. Après 12 des 14 séances de négociations prévues, bien des points sensibles sont encore en suspens  ou demeurent inconnus de l’opinion publique. Cette circonstance rend difficile l’évaluation d’un accord du point de vue de son incidence économique potentielle.

Source: Shutterstock
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En principe, les accords de commerce extérieur génèrent davantage de concurrence, avec les avantages et les inconvénients bien connus qui en découlent : les consommateurs bénéficient d’un plus vaste choix de produits à des prix plus bas et bon nombre d’entreprises trouvent de nouveaux débouchés grâce à l’accès facilité à un plus vaste espace économique ; cependant, les petites entreprises non productives en particulier sont évincées du marché.  A court terme, il peut en résulter des restructurations douloureuses, assorties de chômage et de fermetures d’entreprises dans certains secteurs.

Le TTIP se distingue nettement des accords précédents

Une appréciation de l’accord sur la seule base des expériences issues des accords de libre-échange antérieurs s’avère toutefois insuffisante, dans la mesure où le TTIP s’en distingue sur divers points déterminants. Le TTIP n’est pas seulement censé réguler l’accès aux marchés des biens et des services, mais aussi aux activités d’investissement internationales.

Par rapport à d’autres accords de commerce extérieur, le TTIP se démarque en outre par son étendue du point de vue des espaces économiques à intégrer. De plus, la dominante de cet accord réside dans les investissements, les services et les biens agricoles, et non sur les échanges classiques de marchandises. Le commerce (non agricole) entre les États-Unis et l’Union européenne est en effet déjà soumis aujourd’hui à des tarifs douaniers très bas et à un très petit nombre d’obstacles non tarifaires. Il ne faudrait donc pas s’attendre à d’importants effets créateurs de commerce en dehors du secteur agricole. Les avantages et les inconvénients de l’accord doivent par conséquent être recherchés dans d’autres secteurs.

L’économie moderne se déroule dans des structures extrêmement complexes : une bonne partie du commerce mondial est le fait de groupes multinationaux. Ces entreprises opèrent dans de nombreux secteurs d’activité, négocient des marchandises et des services, et produisent dans un grand nombre de pays, où elles sont confrontées à une vaste fourchette de conditions de production et de vente. Par conséquent, les dispositions qui régissent le champ économique de ces entreprises dépassent largement les réglementations classiques liées aux tarifs douaniers et aux quotas. Elles concernent également différents marchés de l’emploi, du capital et du commerce ainsi que leurs réglementations respectives. Un accord moderne de commerce extérieur doit tenir compte de ces circonstances en essayant de réguler non seulement les tarifs douaniers, mais aussi la protection de l’investissement, les marchés financiers, la politique concurrentielle, les normes environnementales et bien d’autres aspects.

Une telle homogénéisation des marchés s’avère toutefois difficile pour plusieurs raisons. Comment définir des normes unitaires pour plusieurs nations indépendantes – des Etats qui ne se distinguent pas seulement du point de vue de leurs mécanismes juridiques et politiques (objectifs), mais aussi de la sensibilité juridique (subjective) de leur peuple ? Comment vérifier et garantir le respect des normes correspondantes ? Avec l’accord sur le TTIP, certaines divergences juridiques entre les pays gagnent en importance, alors qu’elles jouaient jusqu’à présent un rôle plutôt secondaire dans les accords économiques internationaux. Même au sein de l’Union européenne, l’homogénéisation des espaces économiques n’a pas encore atteint le niveau aujourd’hui recherché dans le cadre de négociations sur le TTIP.

Malaise

Le malaise lié au TTIP porte donc avant tout sur des aspects qui touchent bien davantage aux spécificités nationales que les tarifs douaniers et d’autres règles d’importation. D’éventuelles répercussions du TTIP sur l’agriculture, par exemple, font l’objet de vives controverses. En effet, les produits agricoles permettent de bien illustrer les défis liés à l’homogénéisation de normes relatives aux produits. Les adversaires du TTIP aiment à citer, par exemple,, les normes alimentaires peu élevées aux États-Unis. Et redoutent ainsi un ajustement des normes à un moindre niveau dans l’UE. Aux États-Unis, les denrées alimentaires sont autorisées dès qu’il est attesté qu’elles ne sont pas préjudiciables. Dans l’UE, en revanche, les homologations de denrées alimentaires reposent sur un principe plus conservateur. Il faut apporter la preuve qu’un aliment est sûr pour qu’il soit homologué.

Même si la sécurité alimentaire doit être garantie dans les deux cas, un ajustement de ces deux conceptions juridiques divergentes n’est pas évident à première vue. Si l’homogénéisation aboutit à un dénominateur commun, le problème subsistera au niveau de la justification et de la mise en œuvre de la loi correspondante. La mise en place d’une instance à cet effet est sans doute l’élément le plus contesté dans les négociations sur le TTIP. À cet égard, les États-Unis misent sur un mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États (ISDS, ou Investor-State Dispute Settlement). Beaucoup de partenaires européens y voient à vrai dire un risque de violation des principes fondamentaux de la démocratie et de l’État de droit. Ils redoutent qu’un tel tribunal d’arbitrage n’ouvre la porte à des plaintes et à de coûteuses demandes de dommages-intérêts vis-à-vis des État.

Un débat peutêtre constructif

Dans son étendue et son agencement, le TTIP ne soulève pas seulement des questions de politique économique, mais aussi et surtout des problèmes liés à l’État de droit. Sur un marché de plus en plus mondialisé et interconnecté, il faut apporter une réponse à bon nombre de ces questions, indépendamment du TTIP. Il est possible que les débats et les polémiques liés à cet accord fournissent un premier élément de réponse.

En ce qui concerne l’accord lui-même, il convient de constater qu’il y aura des gagnants et des perdants des deux côtés de l’Atlantique. Mais il n’est sans doute guère possible d’établir des prévisions fiables sans procéder à un examen approfondi des dispositions de l’accord. Une classe politique responsable devrait donc bien pondérer les avantages et les risques liés au TTIP – et ils sont sans doute nombreux des deux côtés– dès que sa formulation définitive sera connue.

Cet article a paru pour la première fois sous une forme modifiée dans le magazine external pageWirtschaftsdienst, der Zeitschrift für Wirtschaftspolitik.

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