Le TTIP : un texte hermétique

Jamais un accord d’intégration n’aura autant fait parler de lui que le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP). Et ce bien que, ou plutôt parce que, les négociations se déroulent à huis clos. Dans le présent article, Richard Senti*, décrit sept ensembles de problèmes et présente les incidences éventuelles sur des pays tiers comme la Suisse.

Source: Shutterstock
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Sous la pression d’une opinion publique de plus en plus critique, l’UE et le gouvernement américain ont publié quelques documents et fourni à plusieurs reprises des explications apaisantes. Mais ni ces informations ni la surveillance des salles de lecture des parlementaires de l’UE n’améliorent la transparence des négociations en cours. La forme définitive de ce partenariat transatlantique demeure un texte hermétique pour les partenaires concernés comme pour les pays tiers.


Le tour d’horizon qui suit explique quels problèmes sont débattus et dans quels domaines, et dans quelle mesure les éventuelles décisions pourraient se répercuter sur des pays tiers comme la Suisse.


1 - Les droits de douane sur les biens industriels et commerciaux ne posent pratiquement aucun problème – à quelques exceptions près. Dans le cadre des négociations précédentes sur le GATT et l’OMC, environ la moitié des droits de douane ont été abolis dans l’UE et aux États-Unis. Les positions restantes présentent en majorité des taxes douanières de 1 à 5%, c’est-à-dire un niveau inférieur au coût de la preuve d’origine requise pour le libre-échange, de sorte que le libre-échange n’est guère revendiqué pour ces produits. Y font exception le cuir (chaussures, sacs), l’habillement, les textiles, les voitures et les accessoires automobiles. L’élimination des droits de douane sur ces produits rendra difficile l’accès des marchés liés au partenariat USA-UE pour les pays tiers.

2 - Les négociations s’avèrent plus difficiles dans le domaine des produits agricoles et alimentaires. L’UE prélève 12 à 14% de droits de douane sur les boissons alcoolisées et le tabac. Les taxes sur les produits laitiers s’élèvent à environ 10% aux États-Unis et dans l’Union européenne. Les exportations agroalimentaires suisses représentent, depuis quelques années, entre 3 et 4% des exportations totales de marchandises de la Suisse. Environ deux tiers de ces exportations sont destinées à l’UE et un dixième, aux États-Unis. Parmi les exportations agricoles vers les États-Unis, 70% environ concernent les boissons ; près de 15% le cacao (chocolat), les sucreries, le café et le thé ; et un bon 7%, les produits laitiers, surtout du fromage (0,2 à 0,3% de l’ensemble des exportations suisses aux États-Unis). La menace récemment exprimée dans les médias suisses selon laquelle les exportations de fromage aux États-Unis seraient compromises, faute de participation de la Suisse au TTIP, surestime toutefois son importance en matière de politique commerciale.

3 - Dans le secteur tertiaire, les négociations du TTIP ne semblent pas très avancées. Les exigences américaines sont jugées « très ambitieuses » par l’UE. Suite à la pression de plusieurs pays membres de l’UE, Bruxelles a promis de ne pas privatiser l’approvisionnement en eau ainsi que d’autres services publics. La Suisse n’est pratiquement pas concernée par les négociations entre l’UE et les États-Unis dans ce secteur.

4 - Concernant les marchés publics, les choses ne semblent guère bouger. L’Union européenne et les États-Unis sont partenaires de l’accord conclu dans ce domaine dans le cadre de l’OMC. Dans tous leurs accords d’intégration précédents (y compris NAFTA et TPP), les États-Unis ont toutefois fait valoir leurs dispositions particulières (Buy American Act 1933, US-Berry Amendment 1941 et Buy America Act 1983). Pour la Suisse, également partenaire de l’accord de l’OMC sur les marchés, rien ne changera.

5 - Dans le secteur de la santé, il s’agit de trouver un compromis entre le principe européen de précaution et le scientisme américain. L’Union européenne s’oppose notamment à l’utilisation d’hormones dans l’engraissement des bovins et de produits génétiquement modifiés dans l’industrie alimentaire. Au cours des dernières semaines, l’hypothèse s’est confirmée selon laquelle les Etats-Unis « attaqueraient » le principe de précaution de l’UE. Si l’UE satisfaisait aux exigences américaines, la Suisse, qui effectue jusqu’à 60% de ses importations agroalimentaires dans l’UE, se retrouverait dans une situation délicate.

6 - Sur le plan de la sécurité technique, les négociations portent sur des normes, des contrôles de conteneurs etc., c’est-à-dire sur des mesures dont les coûts commerciaux représentent entre 50% et plus de 100% de la valeur de la marchandise. L’intention serait actuellement de renoncer à une uniformisation des mesures européennes et américaines, et d’opter plutôt pour une reconnaissance mutuelle. Cette amorce de solution peut entraîner des inconvénients majeurs sur le plan concurrentiel pour des pays tiers comme la Suisse.

7 - De toute évidence, l’Union européenne et les États-Unis ne sont pas d’accord en ce qui concerne les investissements directs. D’après une prise de position de Greenpeace, les États-Unis ne sont pas disposés à remplacer les tribunaux d’arbitrage privés par un système américano-européen pour juger les litiges entre investisseurs et Etats. Les pays tiers ne sont pas directement concernés par le mode de médiation adopté par l’UE et les États-Unis. Il se peut que de grands groupes étrangers revendiquent auprès de la Suisse un système de protection identique à celui prévu dans l’accord entre l’UE et les États-Unis.

Sur la base des connaissances actuelles, il est difficile de savoir si un partenariat se réalisera entre l’UE et les États-Unis dans le sens des objectifs fixés il y a trois ans ou si les partenaires se mettront d’accord dans le cadre d’un programme allégé ou si la signature de l’accord sera ajournée en raison de reproches mutuels.

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Prof. em. Dr. Richard Senti
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