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La statistique du chômage et le recensement des chômeurs inscrits du SECO présentent une évolu- tion très analogue tant que ne sont comptés que les demandeurs d’emploi inscrits auprès d’un office du travail. La statistique du chômage augmente car les chômeurs de longue durée sont de plus en plus nombreux : un phénomène qui échappe aux statistiques du SECO, car bon nombre de chômeurs de longue durée ne sont pas inscrits à l’Office régional de placement (ORP). 

Source: Shutterstock
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Le chômage de longue durée est-il en augmentation en Suisse ? Il n’y a pas de réponse simple à cette question pourtant simple. Cela s’explique par l’existence de deux statistiques différentes du chômage en Suisse (cf. aussi Siegenthaler, 2013), lesquelles donnent une image différente de l’évolution du chômage au cours des dernières années. Il existe, d’une part, la statistique des chômeurs inscrits établie chaque mois par le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), sur la base des personnes recensées dans les Offices régionaux de placement (ORP). Elle se situait l’an dernier, en moyenne, à 3,2%. Le nombre des chômeurs de longue durée est pratiquement constant depuis plusieurs années dans cette statistique.

Il en va autrement en ce qui concerne la statistique du chômage établie par l’Office fédéral de la statistique. Celle-ci se fonde sur la définition du chômage de l’Organisation internationale du travail (OIT). Le calcul du taux de chômage se base sur environ 130000 entretiens téléphoniques effectués chaque année auprès de la population suisse et étrangère résidant en Suisse dans le cadre de l’Enquête suisse sur la population active (ESPA). Selon cette sta- tistique, le chômage s’élevait à 4,5% l’an dernier et tendait à s’accroître depuis quelques années, ce qui s’expliquait notamment par une hausse du chômage de longue durée.

Précision statistique étonnante

L’opinion publique perçoit souvent les statistiques du chômage avec un certain scepticisme. Est-il justifié ? Non. Et ce pour deux raisons. Premièrement, les statistiques fournissent une image analogue en ce qui concerne le nombre des chômeurs inscrits, ce qui n’est pas évident dans la mesure où le recensement des chômeurs se base sur une enquête par sondage auprès des ménages, forcément exposés aux variations statistiques – des variations auxquelles échappent naturellement les statistiques basées sur les registres d’inscription. De plus, la statistique pourrait fournir des résultats systématiquement déformés en raison de la méthode de recensement, les chômeurs étant, par exemple, plus faciles à joindre par téléphone que les personnes actives.

Le graphique G 4 présente le nombre de personnes qui, selon la statistique du chômage, sont à la fois sans emploi et inscrites auprès d’un ORP (courbe bleue). Elle présente aussi le nombre de chômeurs recensés par le SECO (courbe rouge). Nous observons que les deux courbes suivent une évolution très parallèle depuis environ 2002. Cela s’applique aussi bien à l’évolution à long terme qu’aux variations trimestrielles – une observation possible depuis 2010, car l’ESPA est effectuée trimestriellement depuis cette date. La principale différence entre les deux séries concerne le niveau de chômeurs inscrits. Des évaluations détaillées mais non publiées de l’OFS établies sur la base d’une comparaison entre diverses sources de données suggèrent que cette différence de niveau ne s’explique pas par une sous-estimation du chômage inscrit dans l’échantillon de l’ESPA. Au contraire, la statistique du SECO englobe sans doute notamment un grand nombre de personnes au moins partiellement actives. 

comparaison des chomeurs inscrits
Source: KOF

Environ 40 000 jeunes chômeurs non inscrits

La deuxième raison pour laquelle le scepticisme éprouvé à l’égard de la statistique du chômage n’est pas justifié réside dans la supériorité de sa conception. Contrairement aux chiffres du SECO, la statistique du chômage recense également les chômeurs qui ne sont pas inscrits à un Office du travail. Ceci est fondamental, car plus de la moitié des chômeurs de Suisse ne sont pas inscrits auprès de l’ORP. En 2015, environ 120 000 chômeurs étaient dans ce cas, un chiffre qui n’a cessé de s’accroître au cours des dix dernières années. Une étude du KOF sur le chômage en Suisse révèle que la tendance à s’inscrire est inférieure à la moyenne, en particulier chez les femmes, les jeunes et les personnes à faible qualification (Bolli et al., 2015). Leur présence est donc sous-estimée dans les statistiques du SECO.

Le graphique G 5 illustre, à titre d’exemple, sur la base du chômage des jeunes à quel point cet aspect est important. Elle présente le nombre de chômeurs de la tranche d’âge 15–24 ans inscrits et non inscrits, selon la statistique du chômage, ainsi que, à titre comparatif, le nombre des jeunes chômeurs inscrits selon les chiffres du SECO. La comparaison révèle que, depuis 2010, chaque trimestre, environ 10 000 à 20 000 jeunes étaient inscrits à l’ORP. S’y ajoutaient cependant entre 25 000 et 60 000 jeunes qui n’y étaient pas inscrits. Il est aussi à remarquer que le nombre de jeunes chômeurs non inscrits augmente toujours fortement au 3ème trimestre, selon la statistique du chômage, avant de diminuer ensuite peu à peu. Ce phénomène n’est guère étonnant, dans la mesure où la période de formation s’achève pour beaucoup d’étudiants et d’apprentis ce trimestre-là et que la recherche d’un emploi commence. Apparemment, seule une petite partie de ces jeunes s’inscrit à l’ORP.

chomage des jeunes
Source: KOF

Le chômage de longue durée à un niveau record

Ces considérations soulèvent la question de savoir pour- quoi les chômeurs ne s’inscrivent pas à l’ORP. Les raisons sont multiples, mais elles ne sont pas complètement éluci- dées par la recherche internationale. L’une d’entre elles est que les chômeurs ne savent parfois pas du tout qu’ils ont droit à une indemnité de chômage. Chez certains, il se peut aussi que la démarche auprès de l’office du travail soit l’objet d’une stigmatisation sociale. Par ailleurs, la proba- bilité que les chômeurs s’inscrivent sera d’autant plus grande qu’il sera simple d’obtenir une indemnité et que son montant sera élevé.

Une des principales raisons pour lesquelles de nombreux chômeurs ne s’inscrivent pas à l’ORP en Suisse est peut- être qu’ils n’ont aucun droit à une indemnité de chômage. Cela concerne, d’une part, les personnes qui ne rem- plissent pas les conditions requises pour recevoir une indemnité en dépit de leur statut de chômeur. Il s’agit avant tout de personnes qui n’ont pas travaillé assez longtemps ni assez régulièrement dans les années précédentes. Cela s’applique, d’autre part, aux chômeurs en fin de droits, c’est-à-dire les personnes ayant été tellement longtemps au chômage qu’elles n’ont plus droit à la moindre indem- nité. Environ un tiers seulement de ces dernières, toujours en recherche active d’emploi, figurent encore parmi les chômeurs inscrits un an après leur exclusion. Il en résulte notamment que la statistique du chômage, et en particu- lier du chômage de longue durée, est sous-estimée. D’après la statistique du chômage, il y avait plus de chô- meurs de longue durée en 2016 qu’auparavant – une évolu- tion que les chiffres du SECO ne recensent pas. Cependant, les raisons de la hausse du chômage de longue durée n’ont pas encore fait l’objet d’études systématiques. 

La révision de l’assurance chômage en 2011 a « réduit » le chômage mesuré

Conséquence directe des corrélations mentionnées plus haut : les dispositions de l’assurance chômage ont une influence sur l’inscription d’un chômeur auprès de l’ORP. L’importance de ce fait apparaît, par exemple, en 2011, lorsque les conditions d’obtention de l’indemnité de chô- mage ont été durcies dans le cadre de la 4ème révision de l’assurance chômage. La réforme a sensiblement abaissé la part des chômeurs inscrits à l’ORP. Cette part, selon l’OIT, était en moyenne de 54,3% au cours des trimestres précédant la révision de la loi (du 1er trimestre 2010 au 1er trimestre 2011). Elle a diminué à 46,4% après la révision (du 2ème trimestre 2011 au 1er trimestre 2016). En d’autres termes, le niveau du chômage inscrit serait aujourd’hui supérieur si les règles de l’assurance chômage d’avant la révision étaient encore en vigueur. L’influence est particu- lièrement marquée sur le chômage de longue durée mesu- ré, car plus de 16 000 chômeurs sont brusquement arrivés en fin de droits en mars 2011 dans le cadre de la réforme. Il s’ensuit que bon nombre de personnes concernées ne figurent plus dans les statistiques du SECO. La réforme de 2011 est une des raisons pour lesquelles la statistique des chômeurs inscrits, effectués par le SECO, ne recense pas la hausse du chômage en Suisse.

Bibliographie :

Bolli, T., C. Breier, U. Renold und M. Siegenthaler (2015): Für wen erhöhte sich das Risiko in der Schweiz, arbeitslos zu werden?, KOF Studien, 65, Zürich, Juli 2015.

Siegenthaler, M. (2013): external pageDie «Erwerbslosenquote» ist die eigentliche Arbeitslosenquote, Ökonomenstimme.

Contact

Dr. Michael Siegenthaler
Lecturer at the Department of Management, Technology, and Economics
  • LEE G 301
  • +41 44 633 93 67
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KOF Konjunkturforschungsstelle
Leonhardstrasse 21
8092 Zürich
Switzerland

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