Un taux de chômage au plus bas...ou pas ?

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« Le taux de chômage a atteint en Suisse le niveau de 2008 ». L’information s’est largement répan-due, après que le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) a présenté en début de mois ses dernières statistiques sur le chômage. Mais malheureusement, la situation n’est pas (encore) aussi rose qu’au début de 2008 sur le marché de l’emploi.

Selon les derniers chiffres du SECO sur le chômage, le marché de l’emploi Suisse connaît une situation enviable. Comme le montre le graphique 1, le taux de chômage en valeur désaisonnalisée avoisine 2,5%. Cette valeur est la plus basse depuis début le 2008, lorsque l’économie suisse était au terme d’une phase d’expansion de longue durée et s’avérait en excellente condition. Rien qu’entre les mois de mars et de mai de cette année, le taux de chômage global s’est réduit de 2,9% à 2,6% en valeur désaisonnalisée. Les commentaires des médias suisses se sont donc montrés positifs vis-à-vis de ces chiffres. « Le taux de chômage n’avait plus été aussi bas depuis 10 ans », titrait par exemple Blick. Malheureusement, les chiffres du chômage, effectivement très bas, ne sont pas comparables avec ceux publiés il y a 10 ans.

Grafik 1

Le durcissement de l’assurance chômage réduit le chômage

Deux raisons expliquent cette incomparabilité. D’abord, la réforme de l’assurance chômage de mars 2011. Afin d’as-sainir l’assurance chômage, la réforme en a réduit la géné-rosité pour divers groupes de population. Par exemple, l’indemnité journalière maximale que peuvent solliciter des demandeurs d’emploi de moins de 25 ans sans enfant a été réduite de moitié ; et un délai d’attente a été introduit pour les jeunes diplômés, en vue d’accroître le seuil d’ins-cription auprès de l’ORP. Selon le SECO, ces ajustements influent sur le taux de chômage, dans la mesure où les chiffres ne regroupent que les personnes s’inscrivant auprès d’un office régional de placement en cas de chô-mage. Pour quelques catégories de personnes, la réforme a diminué l’incitation à s’inscrire à un ORP. De plus, en raison de la réduction des durées d’indemnisation, bon nombre de chômeurs de longue durée ont perdu la possi-bilité de solliciter une allocation et se sont ainsi retrouvés en fin de droits. Dans la plupart des cas, ils disparaissent des statistiques du SECO sur le chômage.

Dans quelle mesure la réforme a-t-elle influé sur le chô-mage mesuré ? Pour répondre à cette question, il est pos-sible de prendre en compte le nombre de personnes arri-vées en fin de droits en raison des changements. En mars 2011, environ 16 000 chômeurs de longue durée sont arri-vés en fin de droits, soit environ 12 500 chômeurs de plus que durant les mois antérieurs et postérieurs. Si l’on se base sur ce chiffre, les modifications de la loi ont donc réduit le chômage déclaré d’un bon 0,2 point de pourcen-tage.

Les participants à des programmes pour l’emploi et des formations continues ne sont pas inclus

Les derniers chiffres relatifs aux chômeurs inscrits ne peuvent pas non plus être directement comparés à ceux de 2008, dans la mesure où le SECO a modifié le traitement des données sur le chômage en mars de cette année. Désormais, les personnes inscrites auprès d’un office de placement sont divisées entre demandeurs d’emploi « chômeurs » et « non chômeurs ». Selon la pratique inter-nationale en effet, seules sont prises en compte à titre de chômeurs les personnes qui seraient disponibles à court terme pour s’engager dans une nouvelle activité. Un nombre relativement élevé de personnes inscrites auprès d’un ORP ne peuvent donc être considérées comme chô-meurs. En font partie, par exemple, les demandeurs d’em-ploi affectés à des mesures actives telles que programmes en faveur de l’emploi ou mesures de qualification, ainsi que les personnes ayant droit à une indemnité à la suite d’un licenciement, mais dont le délai de préavis n’est pas encore arrivé à terme. La répartition entre demandeurs d’emploi chômeurs et non chômeurs s’est fondée jusqu’à présent sur les inscriptions des salariés auprès des offices de pla-cement. Désormais, le SECO effectue cette répartition de manière semi-automatique. Cette modification accroît la pertinence des chiffres du chômage, car les informations sont plus fiables. 

Des modifications techniques réduisent le chômage déclaré

Comment les chiffres du chômage auraient-ils évolué durant les trois derniers mois si la pratique de recense-ment n’avait pas été modifiée ? Là encore, aucune réponse précise n’est possible, car les expériences font encore défaut avec le nouveau système. L’évolution des chômeurs inscrits entre mars et mai fournit toutefois quelques infor-mations. En effet, le changement devrait avant tout avoir affecté la répartition des demandeurs d’emploi entre chô-meurs et non-chômeurs, mais non le nombre total de demandeurs d’emploi. Le graphique 2 présente l’évolution du nombre de chômeurs inscrits par rapport à celui des demandeurs d’emploi inscrits. Il révèle la variation men-suelle absolue des chiffres en valeur désaisonnalisée. Il montre temporairement que les deux séries suivent une évolution très similaire en temps normal. Mais ce n’est pas le cas pour les trois derniers mois. Le nombre des chô-meurs inscrits s’est réduit de plus de 16 000 personnes au cours de ces trois mois : 6000 personnes en mars et 5000 personnes environ en avril et en mai. Durant la même période, le nombre des demandeurs d’emploi inscrits en valeur désaisonnalisée n’a diminué en revanche que de 4500 personnes. Si l’on prend ces chiffres comme valeur nominale, environ deux tiers du recul du chômage observé durant les trois derniers mois est imputable aux change-ments effectués dans la pratique de recensement. D’après cette estimation simple, le taux de chômage serait aujourd’hui de 0,15 à 0,3 point de pourcentage supérieur, si le changement de système n’avait pas eu lieu. Il est à noter que d’autres ajustements sont prévus en juin, lesquels devraient légèrement accroître le nombre des chômeurs. Ces adaptations devraient donc à nouveau réduire quelque peu l’influence du changement de système.

Grafik 2

Le taux de chômage selon l’OIT relativise la situation du marché de l’emploi 

En l’absence des modifications de l’assurance-chômage et des changements techniques au niveau du recensement des chômeurs, le chômage déclaré serait aujourd’hui plus élevé. Selon nos calculs, le taux de chômage en valeur désaisonnalisée se situerait entre 3,0% et 3,2% – c’est-à-dire environ un demi-point de pourcentage au-dessus des chiffres actuels. Les taux de chômage calculé selon l’Orga-nisation internationale du travail (OIT) montrent également que, sur le marché de l’emploi, en dépit d’un bon début d’année, de nombreuses personnes sont encore en recherche d’emploi. À l’inverse de la statistique des chô-meurs inscrits du SECO, la statistique de l’OIT englobe également les chômeurs qui ne sont pas inscrits auprès d’un office du travail. Au premier trimestre 2018, ce taux de chômage avoisinait 5% en valeur désaisonnalisée et n’a guère diminué au cours des derniers trimestres. En com-paraison historique, un taux de chômage de ce niveau est très élevé pour la Suisse. Le net accroissement de l’emploi au premier trimestre 2018 permet cependant d’espérer un recul effectif du chômage au cours des mois à venir.

1 Il se pourrait que cet effet ne soit pas permanent, mais temporaire, si la réforme de l'assurance chômage a influé sur le comportement des nouveaux chômeurs, et en particulier sur le succès de leur recherche. D’après une étude d’Arni et Schiprowski (2016), cela ne semble toutefois pas avoir été le cas.

Bibliographie

Arni P. et A. Schiprowski (2016) : Evaluation der AVIG-Revision 2011 (Taggelder für Junge, Sanktionierun-gen). Analyse der Wirkung von Suchvorgaben der Arbeitsbemühungen. In : SECO Publikation Arbeits-marktpolitik No. 44 (10. 2016), Bern (résumé en fran-çais).

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Dr. Michael Siegenthaler
Lecturer at the Department of Management, Technology, and Economics
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