Contribution externe : Bien plus qu’une question de discrimination salariale
KOF Bulletin
Le débat à propos des différences sexuelles sur le marché de l’emploi se concentre souvent sur les différences salariales. À l’occasion du Jour des prévisions organisé par le KOF le 2 octobre, le professeur de sociologie Ben Jann a préconisé d’observer également les mécanismes et stéréotypes sociaux. Dans la présente contribution externe, il présente quelques acquis de la recherche à ce sujet.
Au cours des dernières décennies, les sexes se sont nettement alignés du point de vue de leur participation à la vie active (c’est-à-dire la part des personnes en âge de travailler qui exercent une activité ou sont en recherche d’emploi). Cependant, les femmes et les hommes continuent d’assumer des rôles très différents sur le marché suisse de l’emploi. Les femmes travaillent très souvent à temps partiel, ont plus souvent des interruptions d’activité (pour des raisons familiales, par exemple), occupent plus rarement des positions directoriales, se concentrent davantage sur d’autres domaines professionnels que les hommes, doivent plus souvent faire face à une double contrainte (ménage et profession) et perçoivent en moyenne des salaires inférieurs à ceux des hommes, même compte tenu du niveau de qualification et d’autres facteurs pertinents.
Pourquoi ces différences persistent-elles ? Pourquoi les femmes restent-elles moins bien intégrées sur le marché que les hommes ? Pourquoi la réussite professionnelle des femmes est-elle inférieure à celle des hommes ? Le débat public et les mesures politiques se concentrent nettement sur les différences de salaires liées au sexe. La concentration sur la discrimination salariale semble toutefois réductrice.
Il ne s’agit pas seulement de savoir dans quelle mesure les femmes sont traitées autrement que les hommes par les employeurs. Il y va de mécanismes sociaux beaucoup plus fondamentaux, liés à des normes sociales, des stéréotypes, une socialisation sexuée, des contraintes structurelles et une conception de soi spécifique du sexe, qui exercent une influence sur la place des femmes sur le marché de l’emploi. Un vaste ensemble d’études scientifiques provenant de disciplines variées attire l’attention sur une multitude de situations dans lesquelles surviennent des préjugés sexistes susceptibles d’influer sur le traitement des acteurs concernés.
Les femmes sanctionnées pour incongruité de rôle
A titre d’exemple, on attribue aux hommes des qualités telles que l’ambition et la capacité de s’imposer, considérées comme conditions préalables à l’exercice d’une fonction directoriale. En revanche, les femmes tendent à être sanctionnées pour leur incongruité de rôle si elles présentent contre toute attente ces qualités. D’autres constats vont dans le même sens, selon lesquelles les femmes négocient certes moins leur salaire, mais peuvent être désavantagées, si elles brisent la norme sociale et le font. Les femmes continuent d’être confrontées à l’incompréhension et la désapprobation davantage que les hommes, quand elles décident de ne pas avoir d’enfants, et, en même temps, des attributions de rôles demeurent profondément ancrées, selon lesquelles il va de soi que la mère prend en charge une plus grande partie de la garde des enfants que le père. Concernant la répartition des rôles dans la famille et la profession précisément, certains mécanismes se renforcent qui rendent difficile l’abandon de modèles traditionnels : pour de nombreux couples, en raison de l’orientation sexuée du marché de l’emploi, il paraît économiquement rationnel de s’inspirer du modèle « père nourricier et épouse percevant un salaire d’appoint ».
De nombreux indices provenant de différents domaines suggèrent également que les prestations fournies par les femmes et les hommes font l’objet de jugements différents : les femmes doivent en faire plus pour être prises au sérieux, par les autres mais aussi par elles-mêmes. En effet, il ne s’agit pas seulement de la perception et du traitement par les autres ; la conception de soi ainsi que ses propres souhaits et préférences sont marqués par des normes sociales. Ainsi, la persistance de préférences sexuées très marquées pour divers domaines d’études et métiers ne s’expliquent guère par des dispositions génétiques. En même temps, selon certains constats, certains métiers sont d’autant plus dévalorisés s’ils présentent une connotation « féminine ».
Une « prime de mariage » pour les hommes
Deux autres exemples provenant de travaux de recherche menés à l’Université de Berne sont très révélateurs. Selon un schéma expérimental, les revenus de personnes fictives ont été évalués par les participants à une enquête suisse (N = 1912). Le sexe et la situation de famille des personnes décrites variaient. Il en résulta globalement une différence substantielle de près de 6% dans le revenu « juste » des hommes et des femmes. Comment expliquer cette différence ?
L’idée que les personnes interrogées se faisaient du rôle des personnes décrites dans le ménage semble pertinente : si les résultats sont ventilés en fonction du statut de célibataire ou de personne mariée, il apparaît qu’une distinction n’est faite que dans le cas de personnes mariées. Les hommes bénéficient ainsi d’une « prime de mariage » par anticipation de leur rôle de nourriciers, mais pas les femmes. Cela montre à quel point les stéréotypes sexués sont profondément ancrés dans nos esprits.
Le second exemple porte sur le manque de femmes dans les disciplines MINT (mathématiques, informatique, sciences naturelles et technique) : cette absence s’expliquerait en partie par le fait que les femmes sous-évaluent leurs compétences en mathématiques. Un échantillon d’environ 22 000 élèves de 9ème classe participa en 2016 à des tests de performance en mathématiques dans le cadre du projet de vérification des compétences de base menée par la Conférence des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP). Les élèves durent également préciser comment ils évaluaient leurs compétences en mathématiques et quelle profession ils exerceraient probablement à l’âge de 30 ans. Si l’on classe ensuite les professions en fonction de leur appartenance aux disciplines MINT, on constate une différence marquée entre les sexes : 19% chez les garçons contre 2,7% chez les filles.
Élimination des stéréotypes
Il apparaît en même temps, conformément au préjugé très répandu selon lequel le don pour les mathématiques varierait d’un sexe à l’autre, que les élèves de sexe féminin jugent leurs compétences mathématiques nettement plus basses que leurs homologues masculins même en cas de résultats identiques au test. Cela explique une part importante de la différence sexuée par rapport à l’intérêt pour les disciplines MINT. Les écarts dans les tests et les autoévaluations représentent 26% de cette différence, 45% s’expliquant par des différences effectives dans les résultats (qui peuvent aussi déjà être une conséquence d’attentes sexuées par rapport à l’attribution des rôles) et 55% par l’autoévaluation. L’exemple montre que les stéréotypes peuvent exercer une influence sur la perception de soi-même et inciter en même temps à agir.
Pour atteindre une égalité des chances sur le marché de l’emploi, des mesures telles que la vérification périodique de la discrimination salariale dans les grandes entreprises sont probablement insuffisantes. Il semble plus important que nous remettions en question notre conception des rôles joués par les hommes et les femmes dans la société et que nous nous efforcions d’éliminer les stéréotypes ainsi que les contraintes structurelles liées au modèle social traditionnel. Les résultats de « blind auditions » (dans des orchestres américains) ou de modèles de rôles liés à la représentation des femmes (dans la politique locale indienne) montrent que les bases ne manquent pas pour favoriser des changements durables.
Bibliographie
Jann, Ben, Barbara Zimmermann und Andreas Diekmann (2019): Gerechte Löhne für Frauen und Männer. Ergebnisse von drei Experimenten. Universität Bern, mimeo (auf Anfrage erhältlich).
Jann, Ben und Sandra Hupka-Brunner (2019): Warum gibt es einen Frauenmangel bei den MINT-Fachkräften? Zur Bedeutung der Differenz zwischen mathematischen Kompetenzen und Selbstkonzept. Universität Bern, mimeo (auf Anfrage erhältlich).
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