« Nous avons un grand défi social à relever »
KOF Bulletin
En raison de la numérisation et de la mutation technologique, les exigences évoluent sur le marché de l’emploi. À l’occasion du Jour des prévisions du 2 octobre, le débat a notamment porté sur la meilleure manière de préparer les salariés à cette mutation. Le chef d’entreprise Josef Maushart a présenté les problèmes et les défis du point de vue de l’industrie mécanique, électrique et métallurgique de la Suisse.
Le groupe Fraisa est une entreprise industrielle entrepreneuriale avec un chiffre d’affaires annuel de 110 millions de francs et emploie 550 salariés dans sept pays. Il produit des outils pour l’industrie métallurgique. L’entreprise s’engage pour la formation continue et la formation de rattrapage des salariés non qualifiés. Le CEO et président du conseil d’administration Josef Maushart explique dans la présente interview si ces mesures valent la peine et à quelles limites il se heurte.
Monsieur Maushart, quel est l’impact de la numérisation dans votre entreprise ?
Grâce aux nouvelles technologies, nous avons pu réduire de moitié les coûts de production en Suisse au cours des cinq dernières années. Après avoir longtemps investi à l’étranger, nous pouvons désormais enfin à nouveau développer notre entreprise en Suisse. Durant les trois années à venir, nous investirons 30 millions de francs dans l’extension des capacités de production. Cela n’aurait pas été possible sans une exploitation hautement automatisée. Nous pouvons maintenant laisser tourner nos machines, y compris la nuit et le week-end, sans que nos salariés doivent accomplir du travail par équipes. C’est un progrès énorme et cela nous rend plus compétitifs au plan international.
Le progrès technologique a-t-il changé les exigences imposées à vos salariés. Comment y faites-vous face ?
Jusqu’à présent, le salarié classique de l’industrie était une personne qui ne possédait certes aucune formation spécifique, mais qui était prête à travailler en équipe. Le travail en équipe disparaît maintenant et les systèmes hautement automatisés accroissent la complexité du travail. Pour l’exploitation de machines industrielles modernes, nous avons besoin d’un personnel qualifié. La main-d’œuvre non qualifiée se heurte à ses limites. Nous pourrions la remplacer par une main-d’œuvre qualifiée. Mais, d’abord, cela ne correspond pas à nos principes éthiques et, ensuite, ce n’est pas si facile à une époque de pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Nous nous efforçons par conséquent d’emmener nos salariés sur la voie de la numérisation.
Comment procédez-vous ?
Au début de ce processus, nous avions 40 salariés non qualifiés. Jusqu’à présent, 22 d’entre eux ont suivi une formation de rattrapage et obtenu un certificat fédéral de capacité – à titre de logisticien, d’opérateur de machines ou de mécanicien de production. Sur cette base, nous pouvons très bien continuer à les employer chez nous. L’entreprise en tire aussi bénéfice, dans la mesure où nous renforçons l’esprit d’équipe. Nous l’avons constaté à l’occasion de la dernière remise du Prix du meilleur employeur suisse, car nous avons été désignés comme un des meilleurs employeurs.
D’où tenez-vous la certitude que le bénéfice de ces mesures de formation continue excède leur coût sans doute élevé ?
Effectivement, les coûts ne sont pas négligeables. Ils se situent aux environs de 40 000 francs par personne pour une formation complète. Nous considérons le temps de formation comme du temps de travail : les salariés ne travaillent qu’à 80%, mais perçoivent 100% de leur salaire, afin d’éviter les impasses financières. Nous avons toutefois un horizon d’investissement à long terme et croyons que ces mesures se rentabiliseront sous la forme d’une plus grande motivation et d’une plus grande fidélité de notre personnel.
Dans l’industrie de transformation précisément, beaucoup d’entreprises subissent une forte pression des coûts. Comment financer ce genre de mesures ?
Le coût de la formation elle-même est sans doute relativement négligeable. La plupart des entreprises disposent de toute façon de services internes de formation. Cependant, la compensation salariale intégrale telle que nous la pratiquons pourrait être un problème. Il faut parfois trouver des compromis.
De nouveaux salariés peuvent être également recrutés à l’étranger ou directement dans les instituts de formation. Comment inciter les entreprises à miser plutôt sur la formation continue de leur personnel ?
C’est quelque chose qu’on ne peut pas imposer. Les petites entreprises en particulier dépendent des nouvelles possibilités créées par l’État, telles que le développement de formations de rattrapage pour adultes. Mais nous constatons d’ores et déjà que le recrutement d’un personnel qualifié est de plus en plus difficile. À moyen et à long terme, les entreprises feront donc ce qui semble le plus évident et perfectionneront leurs propres salariés.
Dans certains secteurs industriels, la numérisation et l’automatisation sont déjà très avancées. Y a-t-il encore assez de temps, selon vous, pour préparer tout le personnel aux nouvelles exigences ?
Tout est un bien grand mot. La volonté de chacun est aussi toujours indispensable. L’évolution technique est permanente, nous avons donc encore du temps. Mais en ce qui concerne le personnel très peu qualifié, nous devons rechercher de nouvelles idées de formation. Nous avons un grand défi social à relever. En Suisse, 300 000 personnes bénéficient de l’aide sociale. Selon une récente étude, 50% d’entre elles n’ont aucun titre de formation professionnelle. En recourant à des programmes adaptés, nous devons faire en sorte que ces gens se qualifient pour le premier marché de l’emploi. Dans le domaine de la formation d’adultes également, des progrès sont à accomplir, faute de quoi nous serons confrontés à une situation paradoxale : un taux de chômage élevé et un énorme manque en main-d’œuvre qualifiée.