Les entreprises, grandes gagnantes de la libre circulation des personnes

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Beaucoup d’entreprises de Suisse estiment que la libre circulation des personnes est essentielle à leur réussite. Mais cette libre circulation a-t-elle vraiment rendu les entreprises plus grandes, plus productives et plus novatrices ? Selon une nouvelle étude du KOF, les entreprises sont en effet devenues plus grandes et plus novatrices. Elles se sont même décidées à produire davantage en Suisse en raison de la libre circulation.

KOF, ETH Zürich
KOF, ETH Zürich

À l’occasion du débat autour de la mise en œuvre de l’initiative sur l’immigration de masse, une question essentielle a trait à l’influence que la réintroduction de restrictions à l’immigration exercerait sur les entreprises de Suisse. Les déclarations d’entreprises suisses suggèrent que ces incidences pourraient être significatives. De nouveaux obstacles à l’immigration pourraient-ils compromettre la croissance des entreprises de Suisse ? Ces obstacles auraient-ils pour effet que les entreprises délocalisent leur production à l’étranger ou que moins d’entreprises s’établissent en Suisse ?

Une nouvelle étude du KOF apporte des réponses à ces questions. Les auteurs, Jan Ruffner et Michael Siegenthaler, ont examiné les répercussions que la suppression des obstacles à l’immigration, suite à l’introduction de la libre circulation des personnes, a eu sur les entreprises. L’étude révèle non seulement que les entreprises ont  bénéficé de la libre circulation des personnes, mais elle permet aussi de connaître les effets qu’aurait la réintroduction d’obstacles à l’immigration.

L’analyse juge avantageux l’effet secondaire involontaire produit par la libéralisation du marché suisse de l’emploi : durant les premières années, les entreprises proches de la frontière ont particulièrement bénéficié de l’abolition de diverses barrières. Le marché s’est ouvert non seulement aux immigrants européens, mais aussi à la main-d’œuvre frontalière.

Les libéralisations accordées aux frontaliers ont fait fortement grimper leur nombre en Suisse : il y a aujourd’hui 150 000 frontaliers de plus que début 2002. Bien entendu, cette augmentation a surtout été observée dans les régions limitrophes. Ainsi, par exemple, la part des frontaliers sur le marché de l’emploi a progressé d’environ 5 points de pourcentage après l’année 2000 dans les communes situées à moins de dix minutes de la frontière (cf. G 1). Aujourd’hui, dans ces communes, plus d’un salarié sur quatre est un frontalier. Le graphique montre également à quel point l’accroissement du nombre de frontaliers s’est concentré sur les régions limitrophes. Les entreprises proches de la frontière ont donc fait usage du recours facilité aux frontaliers.

Accroissement du nombre de salariés, mais également de l’innovation

En quoi les libéralisations du marché de l’emploi se sont-elles répercutées sur la taille, la productivité et la capacité d’innovation des entreprises frontalières ? Les auteurs ont examiné cette question en comparant l’évolution des entreprises proches de la frontière et celle d’entreprises établies à une plus grande distance de la frontière. Ils se sont concentrés sur la période 2002-2007, car les entreprises frontalières profitaient déjà à cette époque d’un recours facilité à la main-d’œuvre européenne, alors que certains obstacles subsistaient au niveau du recrutement de citoyens de l’UE pour les entreprises implantées à une plus grande distance de la frontière. Ces analyses révèlent que l’accès facilité à la main-d’œuvre étrangère avait une influence nettement positive sur les entreprises proches de la frontière. Celles-ci ont pu accroître leur chiffre d’affaires et leurs effectifs dans une plus large mesure que les entreprises plus distantes de la frontière. La libre circulation des personnes a donc contribué à la croissance de ces entreprises.

Comment expliquer la plus forte croissance du chiffre d’affaires et de l’emploi dans les entreprises limitrophes ? Selon l’étude, trois facteurs jouent un rôle prépondérant. Premièrement, certaines entreprises souffraient d’un cruel manque de main-d’œuvre qualifiée avant l’introduction de la libre circulation des personnes. L’ouverture du marché de l’emploi a eu pour effet que les entreprises ont rencontré moins de difficultés à recruter du personnel adéquat, ce qui s’est aussi traduit par une plus forte croissance de l’emploi. Les auteurs montrent que les entreprises proches de la frontière qui souffraient d’une forte pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans les années 1990 sont devenues nettement plus productives après 2002 par rapport à d’autres entreprises de Suisse.

D’après l’étude, un deuxième facteur explique la plus forte croissance des entreprises frontalières : ces entreprises sont devenues plus novatrices. Il apparaît que les entreprises frontalières ont davantage développé leur service de recherche que d’autres entreprises. Une part significative des nouveaux chercheurs recrutés étaient des frontaliers. L’accès facilité aux chercheurs étrangers et la diminution de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée ont également augmenté les prestations d’innovation mesurées des entreprises frontalières : le nombre de demandes de brevets postérieures à 2002 est nettement supérieur à celui des demandes d’entreprises distantes de la frontière.   

Troisième facteur important : les entreprises ont davantage délocalisé leurs activités de production vers les régions limitrophes pour pouvoir profiter de l’accès facilité à la main-d’œuvre qualifiée de l’Union européenne. En d’autres termes, la libre circulation des personnes a influé sur les décisions des entreprises concernant leur site d’implantation. Le nombre de nouvelles entreprises a davantage augmenté après 2002 dans les régions limitrophes qu’ailleurs. De plus, les résultats montrent que les entreprises établies dans plusieurs régions de Suisse avant l’introduction de la libre circulation avaient surtout accru leurs effectifs dans les régions frontalières après 2002.

Dans l’ensemble, les résultats montrent que les entreprises frontalières de Suisse ont notablement bénéficié de l’accès facilité à la main-d’œuvre européenne. Sans ce recours aux frontaliers, les entreprises auraient connu une croissance moindre et il y aurait moins d’entreprises à proximité de la frontière. Les résultats soulignent toutefois également que les entreprises ont aussi favorisé l’afflux substantiel d’étrangers dans les années qui ont suivi l’ouverture du marché de l’emploi. La libre circulation des personnes a eu pour effet que des emplois ont été créés, mais qui ne l’auraient pas été sinon. La demande accrue en main-d’œuvre qui en a découlé explique notamment pourquoi les perspectives d’emploi de la main-d’œuvre locale ne se sont pas dégradées malgré une plus forte immigration. Les conclusions de l’étude montrent également aussi qu’une réduction de l’immigration en Suisse aurait pour conséquence une diminution de la croissance des effectifs des entreprises et constituerait un frein au développement économique.

L’étude du KOF n° 424 « From Labor to Cash Flow ? The Abolition of Immigration Restrictions and the Performance of Swiss Firms », de Jan Ruffner et Michael Siegenthaler, peut être consultée ici.

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Dr. Michael Siegenthaler
Lecturer at the Department of Management, Technology, and Economics
  • LEE G 301
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KOF Konjunkturforschungsstelle
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8092 Zürich
Switzerland

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